Rioux Généalogie
Les Ancestors et Descendants de Jean Riou et Catherine Leblond
par Thomas Wayne "Tom" Rioux, Ph.D., Austin, Travis, Texas, États-Unis
Dedicated to the work and memory of François Beaulieu

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Jean Rioux: émigrant breton, seigneur canadien

Ce qui suit est un article publié par le Dr.  Benoît Grenier, Professeur, Directeur du département d'histoire, Université de Sherbrooke, Québec, Canada, intitulé «Jean Rioux: émigrant breton, seigneur canadien» dans les «Annales de Bretagne et des Pays de l'Ouest», Tome 111, N°2 (été 2004), p.  73-88.  Utilisé avec la permission du Dr Benoît Grenier.

Jean Rioux:
 émigrant breton, seigneur canadien

Benoît Grenier
Doctorant en histoire
Université Rennes 2 Haute-Bretagne – Université Laval, Québec

    Le 15 mars 1696, Jean Rioux et son épouse Catherine Leblond échangent leur terre de trois arpents de front sur le fleuve Saint-Laurent, à l’île d’Orléans, contre la terre et seigneurie de Trois-Pistoles, appartenant au sieur Charles Denis de Vitré1.  Par cette transaction, l’émigrant breton Jean Rioux, né à Ploujean, dans la baie de Morlaix, en 1652, incapable de signer son nom, devient seigneur au Canada.

    Introduit en Nouvelle-France dès la décennie 1620, le régime seigneurial marquera pour un siècle et demi la société laurentienne, mais aussi l’organisation territoriale et le peuplement du Canada.  En Nouvelle-France, l’occupation du sol se fit entièrement dans le cadre seigneurial.  En 1626, un seul seigneur, Louis Hébert, pionnier de la colonie, propriétaire de deux terres qui viennent d’être érigées en fief, est installé sur les hauteurs de ce qui deviendra la ville de Québec.  Au moment de la conquête de la Nouvelle-France par les Britanniques, en 1760, environ 300 seigneuries auront été concédées.  Les Britanniques, après quelques hésitations,maintiendront le système seigneurial implanté par les Français, mais les territoires ouverts à la colonisation après cette période le seront sous la tenure anglaise.  Ce n’est qu’en 1854 que le parlement canadien mettra fin légalement à l’existence de la tenure seigneuriale.

    Le parcours de Jean Rioux, parti de Bretagne pour le Canada, dans la seconde moitié du XVIIe siècle, à l’instar de 10 000 Français établis en Amérique du Nord, constitue, du point de vue canadien, une illustration exemplaire de l’ouverture de l’Ouest français sur le monde à l’époque moderne.  D’abord modeste «habitant2» de l’île d’Orléans, au coeur de la zone de peuplement initial du Canada, Jean Rioux accède, demanière pour le moins singulière, au statut de seigneur dans une région éloignée, ni peuplée, ni défrichée.  En retraçant l’histoire de cet émigrant trégorois, par l’intermédiaire d’archives notariales, paroissiales et seigneuriales canadiennes, l’occasion nous est donnée de rappeler l’importance de l’Ouest français dans le peuplement de la Nouvelle-France, mais aussi d’évoquer la réalité seigneuriale de la vallée du Saint-Laurent dans un contexte de peuplement colonisateur.  Trois parties, correspondant aux diverses étapes du cheminement de Jean Rioux, seront abordées: l’émigration, l’enracinement en Nouvelle-France et le destin seigneurial.

Jean Rioux: émigrant breton

    Jean Rioux (ou Roc’hiou) est né à Ploujean, dans l’évêché de Tréguier, le 20 mars 1652.  Son père se prénomme également Jean et sa mère se nomme Marguerite Gueguen.  Il est baptisé le jour de sa naissance par le recteur Claude Gueguen3.  En dehors de cela, on ne sait presque rien de la famille de Jean Rioux à Ploujean, sinon que ses grands-parents paternels s’y sont mariés en 16184.  Parti pour la Nouvelle-France vers 1677, âgé de 25 ans, Jean Rioux migre dans un contexte qui ne nous est pas connu,mais que l’étude des réseaux migratoires entre France et Nouvelle-France au XVIIe siècle nous permet d’imaginer.  Avant d’aborder son installation outreatlantique, qui nous est beaucoup mieux connue, rappelons la place occupée par l’Ouest français, plus particulièrement le nord-ouest, dans le peuplement de la Nouvelle-France.

    Traditionnellement, les régions de l’Ouest français, naturellement tournées vers le monde atlantique, étaient présentées par l’historiographie québécoise comme le lieu de provenance de la plus grande partie des immigrants de la Nouvelle-France.  Les dernières décennies ont permis de préciser demanière considérable l’état des connaissances des mouvements migratoires entre la Métropole et sa colonie d’Amérique du Nord, tout en confirmant la place prédominante de l’Ouest dans ces migrations.  Le Programme de recherche en démographie historique (PRDH) de l’université de Montréal a procédé à une vaste étude permettant de connaître la population du Québec ancien (des origines au XIXe siècle)5.  Selon la base de données du PRDH, l’immigration fondatrice de la population du Québec est évaluée à 8527 immigrants, d’origine française à 89,8%6.  Un bien petit nombre comparé aux vingt millions d’habitants du royaume à cette époque et surtout un plus petit nombre encore en comparaison des quelque 200000 immigrants de la Nouvelle-Angleterre, partis d’une Angleterre comptant à peine 4 millions d’habitants.

    Sur ce nombre, la région du Nord-Ouest occupe la première position (28,1%), suivie du Centre-Ouest (26,3%), du Bassin parisien (14,3%) et du Sud-Ouest (10,5%), les autres régions de France tenant une place beaucoup plus ténue.  Plus récemment encore, l’historienne américaine Leslie Choquette a repris l’étude des migrations à partir d’une base de données comprenant 15810 émigrants, utilisant une définition plus extensive de la migration, ne retenant pas exclusivement les migrants définitifs, mais aussi ceux qui ne furent que de passage dans la colonie et dont on a pu conserver la trace.  Les résultats de sa vaste étude ont conduit à réaffirmer la place prépondérante de l’Ouest avec 38,6% de migrants originaires du Nord-Ouest, 19% du Centre-Ouest et 10,9% du Sud-Ouest; la région parisienne se trouve reléguée au cinquième rang, derrière l’Est, avec moins de 10% desmigrants7.  Dans les deux cas, les données portent sur l’émigration française en Nouvelle-France des origines à la fin du régime français (1760), mais alors que l’étude du PRDH concerne la vallée du Saint-Laurent (Canada), celle de Leslie Choquette y ajoute l’Acadie (1692 migrants sur 15810)8.  Ainsi, l’Ouest, et plus particulièrement le quart Nord-Ouest de la France (Bretagne, Normandie, Perche, Anjou et Maine) conserve, au fil de la spécialisation des études, une place prépondérante.  Bref, d’un point de vue canadien, l’ouverture de l’Ouest sur le monde semble manifeste.

    Au sein de ce groupe, la Bretagne occupe, selon les données du PRDH, le sixième rang parmi les provinces de France pour leur contribution au peuplement de la Nouvelle-France.  Toutefois, l’étude de Leslie Choquette place les Bretons bons premiers, devançant même les Normands.  Selon elle, la Bretagne représenterait 16,9% des émigrants français du Canada (ils compteraient pour 6% seulement selon les chiffres du PRDH)9.  Cette différence considérable peut s’expliquer en partie par le fait que Leslie Choquette a considéré les émigrants saisonniers, mais même en excluant ces derniers, «la contribution de la Bretagne à l’émigration resterait à 13%, ce qui la placerait quand même au second rang, derrière la Normandie10».

    La commune de Ploujean, dont était originaire Jean Rioux, se situe à l’extrémité occidentale du diocèse de Tréguier, à l’est de la baie de Morlaix (département actuel du Finistère).  Toujours selon les travaux de Leslie Choquette, le département du Finistère est celui des départements bretons actuels qui a lemoins fourni d’émigrants, moins ouvert sur lamodernité que la Bretagne occidentale.  L’Ille-et-Vilaine, en raison de l’importance portuaire de Saint-Malo, aurait fourni à lui seul 6,7% desmigrants français; suivent la Loire-Atlantique (3%), les Côtes-d’Armor (3%) et le Finistère (2,2%)11.  Globalement, on remarque que la frontière linguistique entre basse et haute Bretagne ne fut pas sans importance: «Plus de 60% des départs bretons vers le Canada proviennent de la partie francophone de la province12

    C’est donc d’une région de Bretagne a priori moins favorable aux migrations outre-atlantique qu’était originaire Jean Rioux.  On ne décèle pas, dans le Trégor du XVIIe siècle, des réseaux migratoires vers la Nouvelle-France, comme ceux observés par Gervais Carpin pour le Perche ou la Normandie à la même époque13.  Dans son étude des notables du Trégor, portant sur une période postérieure, Christian Kermoal, a toutefois observé des migrations vers l’Amérique, constatant certains retours:

    «Nombreux sont aussi les Trégorois qui ont fait le choix de partir à l’étranger, quitte à revenir un jour dans leur paroisse natale.  Deux exemples l’attestent.  Le premier n’est qu’une trop simple trace que nous devons à l’historien anonyme de l’ancien collège de Tréguier.  En 1782, il signale la présence en classe de sixième de Pascal-François Rolland “d’Amérique”.  Il est regrettable que l’auteur […] n’ait pu nous renseigner davantage sur la paroisse d’accueil de ce personnage: aucun élément d’une éventuelle carrière locale ne peut donc lui être attribué.  Ce n’est pas le cas de Jean-Baptiste Le Blanc, né en Acadie vers 1746-1748.  Sa venue en France est peut-être la conséquence des événements qui affectent le Canada à partir de 1755.  Toujours est-il qu’en 1789, syndic de Guerlesquin, il participe à la rédaction des doléances de sa paroisse d’adoption14

    Dans quel contexte et par quels moyens Jean Rioux fut-il mis en relation avec la Nouvelle-France, il ne nous est pas permis de le savoir, ni s’il y eut des étapes intermédiaires entre son départ de Ploujean et l’embarquement pour la Nouvelle-France, dont le lieu n’est pas non plus connu.  Une seule chose est certaine, ce fils de laboureur trégorois est présent à l’île d’Orléans en 1677 et, contrairement aux cas évoqués par Christian Kermoal, il ne reviendra jamais dans son pays d’origine puisqu’un destin singulier l’attendait dans son pays d’accueil.

Prendre racine en Nouvelle-France

    La première attestation de la présence de Jean Rioux en Nouvelle-France nous est révélée par son contrat de mariage avec Catherine Leblond, le 26 décembre 1677.  On le dit alors fils de laboureur, âgé d’environ 21 ans, ce qui le rajeunit de cinq ans15.  Sa future épouse vient d’avoir treize ans; le mariage aura lieu le 10 janvier suivant à l’île d’Orléans, près de Québec16.  Au moment où Jean Rioux migre en Nouvelle-France, le déséquilibre entre les sexes, conséquence d’une immigration principalement masculine, n’est pas encore rétabli.  L’accroissement naturel permettra aux femmes d’égaler les hommes en nombre vers 1700.  Au cours de la décennie 1670, les hommes sont toujours en surnombre dans la colonie.  Or, il était fréquent que les filles nées au pays, de parents français, se marient à un très jeune âge.  Toutefois, le cas de Catherine Leblond, sans être exceptionnel, se situe au-dessous de l’âge moyen des femmes au mariage au XVIIe siècle.  Dans la vallée du Saint-Laurent, de manière générale, au XVIIe siècle, avant la stabilisation du marché matrimonial, les femmes semarient autour de 19 ans et les hommes à 28 ans17.  Au XVIIIe siècle, les femmes se marieront à 22,2 ans et les garçons à 27 ans, se rapprochant davantage de la situation prévalant en France à la même époque, dans les campagnes du bassin parisien, notamment, où les hommes ont enmoyenne 26,6 ans et les femmes 24,5 ans lors du premier mariage18.  Outre le déséquilibre du marché matrimonial, l’histoire de la famille de l’épouse permet de poser certaines hypothèses sur le jeune âge de l’épousée.

    Catherine Leblond est l’aînée des sept enfants de Nicolas Leblond, natif de Honfleur, et de Marguerite Leclerc, originaire de Dieppe.  Ses parents se sont mariés en 1661 à Château-Richer, sur la rive nord du Saint-Laurent, près de Québec et se sont établis sur une terre de la paroisse Sainte-Famille de l’île d’Orléans.  Nicolas Leblond meurt à l’Hôtel-Dieu de Québec en septembre 1677, âgé d’environ 40 ans.  Il laisse donc une veuve et sept enfants âgés de 10 mois à 12 ans, le fils aîné ayant tout juste 10 ans19.  Le décès du père prive donc la famille d’un homme capable de faire valoir la terre.  Ainsi, en contractant mariage avec Jean Rioux, environ trois mois après le décès de son père, l’aînée de la famille Leblond, assure à la maisonnée une paire de bras comme en témoigne cette disposition du contrat de mariage: «Le dit Riout s’oblige de servir sur sa terre et habitation en toute chose raisonnable comme bon père de famille, pour entretenir le ménage et la dite terre, comme ils sont convenus, en toute chose raisonnable sur quoi la dite veuve lui promet de le nourrir et entretenir lui et sa femme et ses enfants s’il y en a […] pendant lesdits quatre ans […]20.»  Au terme de ce service, Jean Rioux devait recevoir une habitation d’une valeur de 300 livres, deux bœufs âgés de trois ans, deux vaches, une charrue et ustensiles pour le travail de la terre… Un engagement de quatre ans à faire valoir la terre des Leblond laisserait le temps au fils aîné d’atteindre ses 14 ans et, éventuellement, à la veuve de se remarier.

    Le contrat entre le gendre et la belle-mère ne sera toutefois pas mené à terme.  Sur une terre située aux environs de celle des Leblond, Jean Rabouin devient également veuf, sans doute à l’automne 1677.  Cinq filles sont nées de l’union de celui-ci et de Marguerite Ardion21.  Le veuf est âgé de 39 ans, la veuve en a 37…Sans connaître lamanière dont se sont déroulés les événements, on peut se douter que Jean Rabouin a fait à Marguerite Leclerc une proposition demariage dès l’hiver 1677-1678 puisque, le 28 février 1678, Jean Rioux et sa belle-mère, dans l’étude du notaire Paul Vachon22, annulent le contrat, à la demande de la seconde qui épousera Jean Rabouin six mois plus tard23.  Jean Rioux est libéré de son service filial et, le même jour, loue une terre de trois arpents dans la paroisse voisine, Saint-François.  Au cours des années qui suivront, Jean Rioux et son épouse loueront et achèteront différentes terres à Sainte-Famille et à Saint-François.

    Pendant vingt ans, la vie du couple se déroulera à l’île d’Orléans où naissent les sept premiers enfants de la famille24.  Le recensement de la Nouvelle-France de 1681 nous apprend que Jean Rioux possède une terre dont 15 arpents sont mis en valeur.  C’est également ce recensement qui nous révèle la naissance de leur premier enfant, Nicolas, alors âgé d’un an25.  Entre le moment de leur mariage et la naissance de leur premier enfant, il s’était écoulé environ deux ans.  Catherine Leblond était âgée de 15 ans lors de son premier accouchement.  Deux de leurs enfants décèdent en bas âge, le second fils Jean, meurt à peine âgé de dix jours, tandis que Jean-Baptiste ne vit que trois ans.  Ce sont donc six enfants qui parviennent à l’âge adulte.

Un destin seigneurial

    Rien ne prédestinait l’émigrant breton Jean Rioux à devenir seigneur en Nouvelle-France.  À l’instar d’autres habitants de l’île d’Orléans, il avait davantage de chance de s’y enraciner et d’y demeurer le reste de ses jours.  Or, environ vingt ans après s’y être installé, c’est à nouveau un destin de pionnier et de migrant qui l’attend, mais cette fois un pionnier de dignité seigneuriale!  Devant le notaire Chambalon, le 15mars 1696, Jean Rioux procède à un échange dont les conséquences seront grandes pour lui et sa famille.  Contre sa terre de trois arpents de front, située à Saint-François, il

Carte du gouvernement de Québec par Gédéon de Catalogne, 1709
(Lessard, Michel, L’île d’Orléans.  Aux sources du peuple québécois et de l’Amérique française, Montréal, Éditions de l’Homme, 1998, p. 142)

acquiert du sieur de Vitré une seigneurie dotée d’un front de deux lieues sur le Saint-Laurent: Trois-Pistoles.  Outre sa terre, sa maison, sa grange et son étable, Jean Rioux laisse dans cette transaction deux bœufs, deux vaches, six poules, un coq et des cochons.  De plus, il s’engage à faire valoir pendant un an la terre qu’il échange, ce pourquoi il recevra 20 minots de blé et 20 livres pour les deux vaches26.  Mais le voilà devenu seigneur!

    À une époque où le fleuve est la seule route pour relier les différentes zones de peuplement, la seigneurie de Trois-Pistoles, concédée à Charles Denys de Vitré en 1687, se situe à l’extrême périphérie de la capitale coloniale, Québec.  Aussi, n’est-il pas surprenant que son premier seigneur, noble et résidant de Québec, n’y ait probablement jamais mis les pieds.  La possession de cette seigneurie, éloignée de Québec et non défrichée (en «bois debout»), n’était pour lui d’aucune valeur, à tel point qu’une simple censive défrichée sur l’île d’Orléans, une zone déjà en voie de saturation, lui semblait plus intéressante.

    Au terme de son engagement envers le sieur de Vitré, Jean Rioux s’apprête à quitter l’île d’Orléans pour prendre possession de sa seigneurie.  Avant de partir, il se défait des biens dont il était toujours propriétaire à cet endroit.  Le 14 mars 1497, il vend une terre de Saint-François à Gabrielle Denis27 et, lemême jour, il se départit d’une autre censive de même dimension, située à Sainte-Famille, en faveur de Pierre Martineau28.  Pour la première, il obtient 600 livres et 695 pour la seconde.  Enfin, toujours le 14 mars, il vend à son beau-frère, Jean Leblond, la part de terre échue à son épouse par succession de son père; il en obtient 450 livres29.  Avant de quitter la région de Québec, où il ne reviendra peut-être plus, Jean Rioux s’acquitte de ses nouvelles obligations féodales en rendant foi et hommage au roi, dont il est le vassal.

    En Nouvelle-France, l’acte de foi et hommage s’accomplit habituellement au château Saint-Louis, située sur le cap Diamant à la haute ville de Québec et résidence des gouverneurs, représentants du roi dans la colonie30.  Toutefois, le 10 avril 1697, Jean Rioux se rend, non pas au château Saint-Louis, mais au palais de l’intendant, par une dispense spéciale dont on ne connaît pas lemotif.  C’est devant l’intendant Bochart de Champigny, que s’exécute le nouveau seigneur: «Habitant31 demeurant en l’île de St- Laurent […] vassal et homme lige du Roi notre Sire, auquel il a rendu en nos mains la foi et hommage qu’il est tenu de lui faire et porter […].»  Au terme de cet acte, Jean Rioux déclare ne pas savoir signer32.

    Ces affaires réglées, la famille Rioux est prête pour le départ.  C’est, selon toute vraisemblance, en juin 1697, après que le fleuve fut libéré de ses glaces, que le couple et ses enfants s’installèrent dans leur seigneurie de Trois-Pistoles.  En barque, une chaloupe biscayenne cédée par le sieur de Vitré33, ils entreprennent un voyage d’environ 250 kilomètres sur un fleuve

Carte de localisation
(Courville, Serge [dir.], Population et territoire,
Sainte-Foy, Presses de l’Université Laval, coll. «Atlas historique du Québec», 1996, p. 48)

qui, de la pointe de l’île d’Orléans jusqu’au golfe du Saint-Laurent, ne cesse de s’élargir.  À la hauteur de Trois-Pistoles, on n’aperçoit plus l’autre rive.  Jean Rioux avait alors 45 ans, son épouse Catherine Leblond, 33 ans.  Leurs fils aînés, Nicolas et Jean sont âgés de 15 et 13 ans, tandis que le cadet, Pierre, n’a pas trois ans34.  En plus d’être les premiers seigneurs sédentaires de Trois-Pistoles, ils y furent également les premiers colons.

    Si la noblesse ne constitue pas davantage qu’en France une nécessité pour acquérir un titre seigneurial, la présence de petits roturiers aussi modestes parmi le groupe seigneurial peut étonner.  Dans la colonie, l’ascension sociale touche un grand nombre d’individus et l’accession à la propriété seigneuriale en constitue une manifestation parmi les plus probantes.  Dans une étude antérieure, nous avons recensé, pour le seul gouvernement de Québec, 62 petits roturiers, majoritairement des paysans, devenus seigneurs en Nouvelle-France.  En général, ces individus accédèrent à la propriété seigneuriale par leur mérite, en récompense d’une carrière ou d’un statut de pionnier, par des relations familiales, voire par leur réussite économique35.  Le cas de Jean Rioux apparaît à cet effet assez inhabituel.  Il n’est néanmoins pas unique.

    La région du bas Saint-Laurent ne compta pas que les Rioux comme seigneurs d’origine modeste.  Dans les seigneuries de L’Isle-Verte et de Rimouski, non loin de là, les seigneurs Côté et Lepage obtiennent également leur seigneurie en échange d’une terre sur l’île d’Orléans.  Au moment où les Rioux deviennent seigneurs de Trois-Pistoles, la famille de René Lepage a déjà acquis, de la même manière, en 1694, la seigneurie de Rimouski, encore plus éloignée que celle de Trois-Pistoles36.  Dans le cas des Lepage, c’est le sieur Augustin Rouer de la Cardonnière qui leur avait échangé sa seigneurie, tout aussi boisée que celle des Rioux.  Nul doute que ce précédent incita, quelques années plus tard, le sieur de Vitré à faire de même.  Le troisième exemple, celui de Jean-Baptiste Côté, aussi habitant de l’île d’Orléans, qui échange sa terre avec la seigneurie de L’Isle-Verte (voisine de Trois-Pistoles), survient plus tard, seulement en 1711, mais la situation sociale des deux parties est similaire aux deux autres37.  Ces trois familles s’installent sans tarder dans cette région non encore développée et, pendant plusieurs générations, les Rioux, Lepage et Côté voient leurs enfants se marier entre eux.  Prenons garde d’y voir une forme d’homogamie seigneuriale, puisque ces trois familles constituent également les seuls êtres humains à des kilomètres à la ronde…

    La vie des Rioux, à compter de leur installation dans leur seigneurie de Trois-Pistoles, est assez mal documentée.  Seuls sur place, Jean Rioux et les siens n’ont guère l’occasion de contracter des actes notariés et la vie paroissiale est inexistante, seuls quelques missionnaires viennent occasionnellement jusqu’en ces confins du territoire laurentien habité.  Il faudra attendre le XIXe siècle avant de voir un notaire et un prêtre résidant.  Cet isolement contribuera même à faire naître certaines légendes locales faisant aujourd’hui partie du patrimoine folklorique québécois, notamment celle du gobelet d’argent relative au seigneur Rioux.  Selon cette légende pistoloise, un prêtre missionnaire à qui le seigneur Rioux avait offert un gobelet d’argent et qui mourut noyé lors de son retour de Trois-Pistoles vers Québec, fit réapparaître dans lamaison du seigneur le fameux gobelet, seul objet de «luxe» des Rioux, qui avait sombré avec lui38.

    Le huitième et dernier enfant de Jean Rioux et Catherine Leblond naît à Trois-Pistoles, probablement en 1698, mais aucun acte de baptême n’a été retrouvé.  Il s’agit de Marie-Madeleine Rioux qui se fera religieuse chez les hospitalières de l’Hôtel-Dieu de Québec39.

    L’installation d’un seigneur sur ses terres, dans la vallée du Saint-Laurent, coïncide habituellement à un essor du peuplement et du développement territorial.  La décision de résider s’accompagne en effet le plus souvent d’une volonté manifeste d’établir des censitaires sur la seigneurie, ce à quoi sont d’ailleurs, en principe, obligés les seigneurs.  Promulgués en 1711, les Arrêts de Marly rappellent aux seigneurs leur obligation de mettre en valeur leur domaine seigneurial.  Bien que ces arrêts n’obligent pas les seigneurs à résider, ils témoignent du problème de l’absentéisme seigneurial40.  Si les seigneurs ne développent pas leurs propriétés, il est évident qu’y résider ne constitue probablement aucunement une éventualité à leurs yeux.  Cette intervention étatique, qui vise à la fois les seigneurs et les censitaires, les contraignant à défricher les terres concédées, menace de priver les individus concernés de leurs titres de propriété s’ils n’ont pas remédié à la situation dans l’année qui suit.  Comme les seigneurs sont omniprésents dans l’administration coloniale, les Arrêts de Marly restent sans lendemains; «En 1719, rien de concret n’est encore fait, le gouverneur Vaudreuil et l’intendant Bégon prétextant que l’intention n’était que de faire planer une menace et de susciter la crainte41

    Toutefois, à Trois-Pistoles, malgré la présence de la famille Rioux, on assiste à un lent développement de la seigneurie et, dans une première phase, relativement longue, à l’absence de concessions censitaires.  Pendant les deux premières décennies, la famille Rioux semble bien être la seule à résider sur place, comme en témoigne le premier aveu et dénombrement de la seigneurie, rendu en 1723 par le fils de Jean Rioux, Nicolas.  En effet, vingt-six ans après la venue des Rioux à Trois-Pistoles, ils y sont toujours les seuls habitants, comme leurs «voisins» les seigneurs Côté à L’Isle-Verte42.  On peut supposer que les seigneurs Rioux eurent sans doute de la difficulté à y attirer des censitaires, ou encore qu’ils se contentèrent de défricher leurs terres sans vouloir y installer d’autres gens que leurs enfants.  Néanmoins, compte tenu de l’isolement et du désir de sécurité lié à une présence humaine, il semble assez improbable que l’absence de censitaires ait résulté d’un choix.  Tout simplement, le peuplement n’était pas encore parvenu jusqu’à Trois-Pistoles qu’aucune route autre que le fleuve ne relie à Québec; il n’atteindra pas cette région éloignée de la vallée du Saint-Laurent avant le deuxième quart du XVIIIe siècle.  Sachant que ce n’est qu’en 1737 qu’une route terrestre, le chemin royal, reliera Québec et Montréal, la seigneurie de Trois-Pistoles dut attendre un siècle après la venue des Rioux avant de voir arriver ses visiteurs autrement qu’en canots43.

    Outre la naissance d’un dernier enfant et l’évidence de durs labeurs liés à l’exploitation d’une terre forestière et aux rigueurs de l’hiver, on ne connaît pas les dernières années de la vie du seigneur Jean Rioux.  On peut néanmoins imaginer un niveau de vie, de toute évidence, relevant de la première nécessité, à l’instar des premiers colons des autres seigneuries canadiennes.  La première maison fut certainement une cabane de bois en pièces sur pièces, construite à même l’abondante forêt que constituait alors Trois-Pistoles et ne comprenant qu’une salle.  Habituellement, les colons rallongeaient ensuite ces maisons d’établissement ou se construisaient de «vraies» maisons, mais toujours en bois, à l’exception de régions où la pierre abonde, comme Beauport, où on exploite des carrières de calcaire dès le XVIIe siècle44.  Il est évident que les conditions de vie qu’ont connues les Rioux à Trois-Pistoles, du moins pendant les premières années, étaient rudimentaires en comparaison de ce qu’ils avaient dû connaître sur l’île d’Orléans, déjà parvenue, toutes proportions gardées, à un certain niveau de «confort».  Généralement, on estime qu’«il faut compter dix ou onze ans avant d’avoir une dizaine d’arpents en labours de charrue, le minimum pour pouvoir mettre sa terre en soles lorsqu’il y a une famille à nourrir45».  Après environ trente ans, la concession moyenne représente 30 arpents de terre arable, le temps d’une génération passé à défricher et à bâtir46.

    Jean Rioux ne vit sans doute jamais ses terres atteindre un tel niveau de développement.  Bien qu’on ne connaisse pas la date de son décès, on sait qu’il n’était plus au moment du mariage de son fils aîné, Nicolas, le 13 août 171047, soit treize ans après l’installation de la famille à Trois-Pistoles.  Rien ne nous permet de savoir s’il a vécu longtemps après 1697.  D’autres membres de la famille Rioux décèdent à une date inconnue, après leur installation à Trois-Pistoles: Jean, né en 1684 et Catherine, née en 1693 qui ne sont plus en 1723, au moment de l’aveu et dénombrement48.

    À la mort de son mari, la seigneuresse Catherine Leblond se retrouve avec au moins quatre enfants vivants: Nicolas, Vincent, Pierre et Marie-Madeleine.  Les aînés sont sans doute en âge de prendre la relève de leur père.  Nicolas devient le seigneur principal et ses frères et soeurs co-seigneurs.  Le nouveau seigneur prend épouse à l’île d’Orléans, en 1710, en unissant sa vie à celle de Louise Asselin, qu’il avait sans doute connue avant que la famille ne s’installe à Trois-Pistoles.  Son frère Vincent épousera, en 1731, Catherine Côté, fille du seigneur de L’Isle-Verte, seigneurie voisine49.  Pierre demeura célibataire et la cadette se fit religieuse.  Ainsi, deux lignées de Rioux naissaient à Trois-Pistoles, dont peuvent se réclamer tous les Rioux, forts nombreux aujourd’hui en Amérique et encore aussi très présents dans la région de Trois-Pistoles et du Bas-Saint-Laurent en général.

    La seigneuresse vécut très longtemps, en compagnie de ses enfants, petits et arrière-petits-enfants.  En dépit de l’autonomie et de l’autorité qui lui était conférée par la Coutume de Paris50, Catherine Leblond, à l’instar d’autres seigneuresses délaissa le contrôle de la destinée de la seigneurie à son fils Nicolas, qui procède seul aux concessions de terre dans la seigneurie, sans qu’il soit fait mention du titre de sa mère, Catherine Leblond51.  Elle meurt le 1er décembre 1753, à l’âge de 89 ans et deux mois.  Son acte de sépulture porte la mention suivante: «propriétaire et seigneuresse des Trois-Pistoles52»; est-ce le respect en raison de son grand âge qui lui aura valu de se voir qualifiée enfin de seigneuresse?  Auparavant, on l’avait toujours qualifiée de «veuve du seigneur» et jamais de seigneuresse.  Il faut dire que son mari avait trépassé depuis déjà 48 ans et que son souvenir commençait certainement à s’estomper… Catherine Leblond est inhumée dans l’église de Trois-Pistoles53.

    Six générations de seigneurs Rioux se succéderont à Trois-Pistoles entre 1697 et 1854, année de l’abolition du régime seigneurial: Jean (1697- 1710), Nicolas (1710-1756), Étienne père (1756-1784), Étienne fils (1784- 1805), Joseph (1805-1829) et Éloi (1829-1854).  La famille Rioux, de par sa présence constante dans sa seigneurie de Trois-Pistoles et par sa préservation du titre seigneurial sur près de deux siècles, représente un cas exceptionnel parmi les seigneurs de la vallée du Saint-Laurent.  D’une part, les seigneurs résidants ont toujours été minoritaires parmi l’ensemble des seigneurs laurentiens (tout au long du XVIIIe siècle, les seigneurs résidants comptent pour environ 30% des seigneurs, ils seront unmaximumde 40% au moment de l’abolition du régime seigneurial).  D’autre part, les seigneuries ayant appartenu à une même famille pendant une aussi longue période sont extrêmement rares.  Avec les Juchereau-Duchesnay à Beauport ou encore les Boucher de Boucherville, les Rioux de Trois-Pistoles font partie des quelques familles seigneuriales originelles encore en place au milieu du XIXe siècle.

    Venu de Bretagne vers le Canada, à la fin de la période d’immigration fondatrice, Jean Rioux connut un parcours non pas unique, mais tout de même remarquable.  Si l’accession de petits roturiers à la propriété seigneuriale en Nouvelle-France est un phénomène bien réel, le processus d’élévation sociale n’est cependant pas toujours aussi rapide.  Seigneur au Canada, certes, mais Jean Rioux, aux yeux de ses contemporains français, aurait sans doute semblé un bien singulier seigneur.  D’humble origine, analphabète, défricheur, seigneur sans censitaires…, Jean Rioux et sa famille eurent vraisemblablement une vie similaire aux autres pionniers de la Nouvelle-France.  Bien que seigneurs, les conditions de vie de ces pionniers du bas Saint-Laurent ne furent pas plus faciles que celles des censitaires dans les autres seigneuries.  Même pour des seigneurs, la vie mondaine était évidemment limitée dans la région de Trois-Pistoles au tournant du XVIIIe siècle!  Ils furent certainement davantage liés à la population rurale de leur seigneurie qu’à l’élite coloniale.  Néanmoins, malgré l’absence d’une forte affirmation de leur statut seigneurial, au fil des décennies et des siècles, au gré du peuplement de la seigneurie, les Rioux en vinrent à se distinguer de leurs censitaires.  Même si la plupart des descendants des seigneurs Rioux ne portent plus aujourd’hui la marque de la notabilité liée au statut de seigneur de leurs aïeux, le souvenir reste présent.  Mais quel souvenir?  Celui d’ancêtres colonisateurs de Trois-Pistoles ou plutôt d’ancêtres seigneurs?  Sans doute les deux puisqu’ils sont indissociables, comme en témoignèrent les fêtes du tricentenaire de la venue des Rioux à Trois-Pistoles, célébrées en 1997, lors desquelles on commémora la mémoire de Jean Rioux et de Catherine Leblond à l’occasion d’un rassemblement des Rioux d’Amérique.  Du côté des anciens censitaires aussi, le souvenir demeure.  Dans la seconde moitié du XXe siècle, la descendante du dernier seigneur de Trois-Pistoles continuait à être désignée par les habitants des lieux comme «la seigneuresse» et ce, même si, officiellement, le régime seigneurial n’était plus depuis plus d’un siècle.

Bibliographie

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Trudel,Marcel, Les débuts du régime seigneurial canadien, Montréal, Fides, 1974, 313 p.

RÉSUMÉ

À la fin du XVIIe siècle, Jean Rioux, paysan natif de Ploujean dans la baie de Morlaix, devient seigneur de Trois-Pistoles dans la vallée du Saint-Laurent, au Canada.  Le destin singulier de cet émigrant trégorrois en Nouvelle-France constitue, à l’échelle individuelle et familiale, une illustration exemplaire de l’ouverture de l’Ouest français sur le monde à l’époque moderne.  Les principales étapes de la vie de Jean Rioux: l’émigration, l’enracinement et le destin seigneurial, retracées dans le présent article, nous conduisent du Finistère à la région isolée que constituait le Bas-Saint-Laurent au tournant du XVIIIe siècle.  Mais surtout, le parcours de cet émigrant breton nous permet de porter un regard plus large sur l’histoire de la colonisation française du Canada et à la place de l’Ouest français dans celle-ci, ainsi qu’à l’organisation territoriale et sociale de cette société neuve dans laquelle le système seigneurial joue un rôle central.

ABSTRACT

At the end of the 17th century, Jean Rioux, peasant native of Ploujean in Morlaix’s bay, becomes “seigneur” of Trois-Pistoles in the Saint-Lawrence Valley, Canada.  The singular fate of this emigrant from Trégor in New France constitutes, on an individual and familial scale, an exemplary illustration of western France opening on the world in the modern times.  The main stages of Jean Rioux’s life: the emigration, the implanting in Canada and the seigneurial fate, discussed in the present article, lead us from Finistère (Britanny) to the isolated region that was “Bas-Saint-Laurent” in the bend of the 18th century.  But especially, the life of this Breton emigrant provides a wider glance to the history of the French colonization of Canada and on the western France place in this one, as well as on the territorial and social organization of this new society in which the seigneurial system plays a central role.

Notes de bas de page

  1. Charles Denis de Vitré (1645-1703).  Né à Tours, il était le fils de Simon Denis, anobli en 1668, conseiller du roi et lieutenant-civil au grenier à sel de Tours.  Il vint en Nouvelle-France avec sa famille en 1632.
  2. Notons que le terme habitant constitue, en Nouvelle-France, un synonyme de paysan.
  3. Langlois, Michel, «Jean Rioux», Dictionnaire biographique des ancêtres québécois, t. 4, Sillery, Mitan, 2001, p.  254.
  4. Ibid., p. 255 (Jacques Keroc’hiou et Jeanne Le Ferrec se sont épousés le 8 février 1618).
  5. Répertoire des actes de baptême, mariage, sépulture et des recensements du Québec ancien, sous la direction de Hubert Charbonneau et Jacques Légaré du Programme de recherche en démographie historique de l’Université de Montréal (PRDH), 47 volumes publiés (Des origines à 1765) et base de données informatisée regroupant tous les actes jusqu’en 1799.
  6. Choquette, Leslie, De Français à paysans.  Modernité et tradition dans le peuplement du Canada français, Paris/Sillery, Presses de l’Université de Paris-Sorbonne/Septentrion, 2001, p. 25.
  7. Ibidem.
  8. Ibid., p. 20.
  9. Ibid., p. 26-27.
  10. Ibid., p. 29.
  11. Ibid., p. 30.
  12. Ibid., p. 50.
  13. Carpin, Gervais, Le Réseau du Canada.  Étude du mode migratoire de la France vers la Nouvelle-France (1628-1662), Paris/Sillery, Presses de l’Université de Paris-Sorbonne/Septentrion, 2001, 555 p.
  14. Kermoal, Christian, Les Notables du Trégor.  Éveil à la culture politique et évolution dans les paroisses rurales (1770-1850), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2002, p. 135.
  15. Arch. nat. du Québec, greffe Moreau, contrat de mariage entre Jean Riou et Catherine Leblond (26 décembre 1677).
  16. Arch. nat. du Québec, registre paroissial de Sainte-Famille, île d’Orléans, 10 janvier 1678.
  17. Mathieu, Jacques, La Nouvelle-France: Les Français en Amérique du Nord, XVIe- XVIIIe siècle, Paris/Québec, Belin/PUL, 1991, p. 76.
  18. Dupâquier, Jacques, «La France avant la transition démographique», dans Bardet, Jean-Pierre et Dupâquier, Jacques (dir.), Histoire des populations de l’Europe, tome I: Des origines aux prémices de la révolution démographique, Paris, Fayard, 1997, p. 455.
  19. René Jetté, Dictionnaire biographique des familles du Québec.  Des origines à 1730, Montréal, Programme de recherche en démographie historique, 1983, p. 572-573 et Michel Langlois, Dictionnaire biographique des ancêtres québécois, t. 3, Sillery, La maison des ancêtres, 2000, p. 164.
  20. Arch. nat. du Québec, greffe Moreau, contrat de mariage entre Jean Riou et Catherine Leblond (26 décembre 1677).
  21. Jetté, René, op. cit., p. 958.
  22. Arch. nat. du Québec, greffe Paul Vachon (28 février 1678).
  23. René Jetté, op. cit., p. 958.
  24. Ibidem, p. 986.
  25. Recensement de la Nouvelle-France 1681, Publié et annoté par André Lafontaine, Sherbrooke, s.e., 1981.
  26. Arch. nat. du Québec, greffe Louis Chambalon, échange entre Charles Denis de Vitré et Jean Rioux (15 mars 1696).
  27. Arch. nat. du Québec, greffe Louis Chambalon, vente de Jean Rioux à Gabrielle Denis (14 mars 1697).
  28. Arch. nat. du Québec, greffe Louis Chambalon, vente de Jean Rioux à Pierre Martineau (14 mars 1697).
  29. Arch. nat. du Québec, greffe Louis Chambalon, vente de Jean Rioux à Jean Leblond (14 mars 1697).
  30. Construit sous forme de petit fort au cours de la décennie 1620, le château Saint-Louis, agrandi, sera la résidence des gouverneurs et le siège du Conseil souverain sous le régime français.  Les Britanniques lui maintiendront son statut de résidence des gouverneurs, jusqu’à son incendie en 1834.  Les fondations de ce bâtiment sont encore visibles sous la terrasse du château Frontenac à Québec.  Voir: Noppen, Luc et Morisset, Lucie K., Québec de roc et de pierre: la capitale en architecture, Sainte-Foy, éditions Multimondes, 1998.
  31. L’utilisation de cette désignation accentue le statut paradoxal de Jean Rioux.
  32. Roy, Pierre-Georges, Inventaire des concessions en fief et seigneurie, fois et hommages et aveux et dénombrements conservés aux Archives de la Province de Québec, Beauceville, L’Éclaireur, 1917.
  33. Rioux, Emmanuel, Histoire de Trois-Pistoles, op. cit., p. 100.
  34. Jetté, René, op. cit., p. 986.
  35. Grenier, Benoît, «Devenir seigneur en Nouvelle-France: mobilité sociale et propriété seigneuriale dans le gouvernement de Québec sous le régime français», mémoire demaîtrise (histoire), Université Laval, Québec, 2000, 152 p.
  36. Arch. nat. du Québec, greffe Louis Chambalon, échange entre Augustin Rouer de la Cardonnière et Pierre Lepage (10 juillet 1694).
  37. Arch. nat. du Québec, greffe François de La Cetière, échange entre Pierre de Niort et Jean-Baptiste Côté (14 février 1711). 
  38. Pour une version écrite de cette légende: Charles Le Blanc, Contes et légendes du Québec, Paris, Nathan, 1999, «Le portrait maléfique», p. 127-141.
  39. Elle y est novice le 17 septembre 1718 et professe le 18 mars 1720.  Elle lègue sa part de la seigneurie de Trois-Pistoles à ses trois frères.
  40. Mathieu, Jacques et Laberge, Alain (dir.), L’Occupation des terres dans la vallée du Saint-Laurent: les aveux et dénombrements 1723-1745, Sillery, Septentrion, 1991, p. VIII-IX.
  41. Ibidem.
  42. Mathieu, Jacques et Laberge, Alain (dir.), L’Occupation des terres…, op. cit., (aveu et dénombrement de la seigneurie de Trois-Pistoles – 15 février 1723).
  43. Roy, Pierre-Georges, Inventaire des Procès-verbaux des Grands voyers conservés aux Archives de la Province de Québec, Beauceville, L’Éclaireur, 1923-1932, vol. I, p. 257.
  44. Robitaille, André, Habiter en Nouvelle-France 1534-1648, Beauport, MNH, 1996, p. 261.
  45. Louise Dechêne, Habitants et marchands de Montréal, Montréal, Boréal, 1988 [1974], p. 273.
  46. Ibidem.
  47. Arch. nat. du Québec, greffe Etienne Jacob, contrat de mariage entre Nicolas Rioux et Louise Asselin (8 août 1710); Jetté, René, Dictionnaire généalogique…, op. cit., p. 986.
  48. Mathieu, Jacques et Laberge, Alain (dir.), L’Occupation des terres…, op. cit., (aveu et dénombrement de la seigneurie de Trois-Pistoles – 15 février 1723).
  49. Arch. nat. du Québec, greffe de Claude Barolet, contrat de mariage entre Vincent Rioux et Catherine Côté (19 juillet 1731); Arch. nat. du Québec, registre paroissial de Saint-Germain-de-Rimouski, 20 août 1731.
  50. À compter de 1664, la Nouvelle-France, qui jusque-là avait connu divers codes légaux, passe sous l’autorité unique de la Coutume de Paris.
  51. Par exemple: Arch. nat. du Québec, greffe François Rageot, obligation (4 octobre 1728); procuration (30 octobre 1730).
  52. Arch. nat. du Québec, registre paroissial de Notre-Dame-des-Neiges-de-Trois-Pistoles, acte de sépulture de Catherine Leblond (1er décembre 1753).
  53. Idem.

ABPO article 1283